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Biographie : Soilio Coulibaly

Soilio Coulibaly, nom d’artiste Soilioba, natif de Koun-Ahouzi, dans le département de Koun-Fao au nord-est de la Côte d’Ivoire à au nord-est du pays, est issu d’un pays marqué par des décennies de crise politique et sociale. Ces faits, éprouvés depuis l’enfance jusqu’à l’adolescence, forgent en lui un rapport au monde vicié par la souche et font naître en lui le besoin inexpugnable de s’exprimer par les formes. C’est dans ces conditions qu’il fait le vœu de faire de l’art un territoire de la mémoire, de la mutation, de l’opposition et de la liberté.

Dès ses premières années de formation, Soilioba s’affiche comme un enfant doté d’une force de volonté insigne et d’une curiosité intellectuelle affichée. En 2010, il prend sa place au Conservatoire Régional des Arts et Métiers d’Abengourou et fait ses premiers pas en formation artistique. Son engagement et son sens de l’observation conduisent le jeune homme à réussir sur concours celui des Arts Appliqués de Bingerville et à y suivre une formation intellectuellement éprouvante en trois ans. Il sort major de sa promotion, toutes spécialités confondues.

Il franchit une nouvelle étape : il est à son tour admis, par concours, à l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle d’Abidjan, considéré comme le cœur battant de la formation artistique en Côte d’Ivoire. Là, il s’inscrit à l’École Nationale des Beaux-Arts, où, il va consolider ses qualités plastiques et sa réflexivité critique sur la position de l’artiste dans l’Afrique postcoloniale. Ses années à l’INSAAC sont déterminantes parce qu’elles lui donnent une nouvelle sensibilité sociale et politique. Il apprend, alors, que le geste de création qu’il pose ne peut être qu’un écho aux tensions et préoccupations de son temps.

En 2014, il décroche une bourse de coopération internationale du Royaume du Maroc. Cette bourse lui offre la chance de compléter sa formation à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, travailleur majeur reconnu pour la place accordée à l’expérimentation plastique. Les trois années qu’il y passe sont profondes. Il y découvre de nouvelles formes, de nouveaux récits, une manière autre d’impliquer l’art dans le corps social. Il obtient, en 2017, un diplôme de premier cycle en art ; son projet de fin d’études y est salué pour sa densité et son originalité.

Reste, en lui, un désir fort de continuer à croiser pratique artistique et recherche théorique. Il choisit alors de s’installer en France, pays qui offre le meilleur cadre pour la recherche-création et l’interdisciplinarité. Il entre à la Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines de l’Université Polytechnique Hauts-de-France, à Valenciennes pour un master en art et management artistique. Ensuite, un Master en humanité numérique, Ces formationsl’aide à comprendre profondément les dynamiques professionnelles du monde de l’art contemporain tout en questionnant le geste de création dans ses aspects critiques, sociaux et politiques.

Aujourd’hui doctorant au LARSH-DesCripto à l’UPHF, il développe une thèse intitulée :
« La plastique contemporaine et l’art de fabriquer des masques : gestes, figures et mémoire»
Sous la forme d’une recherche-création, ce travail interroge la place du masque africaindans les pratiques artistiques contemporaines, non pas comme simple citation ou référence décorative, mais comme figure active de transformation, outil de dévoilement, dispositif de mémoire vive.


Cette recherche est née de l’expérience artistique de Soilioba lui-même : de son enfance en Côte d’Ivoire, où le masque est à la fois objet rituel et symbole d’identité, aux ateliers d’artistes qu’il fréquente aujourd’hui, qui font du masque un langage critique. Il explore ainsi les continuités, les ruptures, les métamorphoses de cette forme, entre passé et présent.

Ce parcours foisonnant, mû par l’ambition de l’excellence, de la rigueur et de l’engagement, a donné naissance à une identité forte pour Soilioba Coulibaly : celle d’un artiste-chercheur africain, ancré dans sa culture mais résolument ouvert sur le monde, capable de faire dialoguer les formes anciennes et les langages contemporains, les récits personnels et les discours politiques, la mémoire et la création.

Parcours qui annonce un projet : celui de faire de l’art un lieu de vérité. Un espace où l’on interroge le visible, le sensible, les structures d’injustices, mais aussi un lieu où l’on invente de nouveaux récits, de nouvelles figures, de nouvelles façons d’exister.
C’est dans cet entre-deux, entre héritage et invention, qui impose la blessure mais laisse entrevoir l’espérance, que s’inscrit la richesse de ce parcours ; et en cela, bien sûr, son originalité.

Démarche artistique SOILIOBA

Mon travail artistique est né dans un contexte de fracture. Il est le fruit d’une expérience intime de la violence politique, du chaos social, de la peur collective, vécue dans mon pays, la Côte d’Ivoire. Les crises successives qui ont marqué mon enfance et ma jeunesse ont forgé une conscience aiguë de l’instabilité du monde, de l’absurde des rapports de pouvoir, mais aussi de la capacité humaine à résister, à créer, à transformer l’oppression en langage.
C’est dans cette tension entre blessure et expression que mon œuvre prend forme.

Dès mes premières explorations plastiques, j’ai cherché un langage à la fois direct et symbolique, brut et sensible. Le masque africain, en particulier le masque ivoirien, s’est imposé comme une matrice centrale de mon travail. Non pas dans une approche ethnographique ou patrimoniale, mais comme forme vivante, pouvoir plastique, énergie critique.

Le masque : entre mémoire, métamorphose et dévoilement

Dans mon univers, le masque n’est pas un objet du passé, mais un corps de pensée, un outil de révélation. Il est à la fois protection et dissimulation, visage et anti-visage. Le masque est un geste, un rituel visuel qui permet de dire ce que l’on tait, de montrer ce que l’on cache, de créer un espace où l’indicible peut apparaître. Il est la frontière mouvante entre ce qui est vu et ce qui se dérobe.

À travers la matière du masque, je donne forme à des sensations politiques. Je ne peins pas des événements, je peins des échos. Chaque œuvre est une tentative de traduire plastiquement ce que les crises politiques, les injustices sociales et les violences symboliques laissent dans les corps et les mémoires.

C’est tout le sens de ma recherche doctorale, La plastique contemporaine et l’art de fabriquer des masques : gestes, figures et mémoire, qui explore cette articulation entre forme artistique, mémoire rituelle et critique contemporaine. Cette thèse n’est pas seulement une réflexion intellectuelle : elle alimente ma pratique plastique, elle l’éclaire, la pousse à creuser plus loin les puissances esthétiques et politiques du masque.

Une écriture picturale brute, hybride et expressive

Au fil du temps, ma peinture a évolué vers une écriture plus libre, plus intuitive, plus viscérale. J’utilise une grande diversité de médiums – acrylique, pastel sec, huile, bitume, posca, collage, craie grasse, bombe aérosol – que je combine pour obtenir une matière vibrante, hachée, organique. Mes œuvres sont souvent saturées, rugueuses, traversées de mots, de griffures, de couches de sens.

Cette esthétique est profondément influencée par Jean-Michel Basquiat, dont l’œuvre constitue pour moi un repère essentiel. Comme lui, je considère que le geste est porteur de pensée, que l’écriture dans la peinture est un acte politique, un cri, une poésie du désordre. Sa manière de mêler les mots, les symboles, les figures et la couleur brute, son refus de l’esthétisation, son combat intérieur inscrit dans chaque centimètre de toile m’inspirent dans ma volonté d’un art authentique, engagé, profondément humain.

Aboudia, autre figure majeure, m’interpelle par la puissance mystique de ses compositions, la manière dont il fait surgir une mémoire urbaine, animiste et contemporaine, à partir d’un langage visuel incandescent. Hassan Echair, pour sa part, influence ma rigueur formelle et ma réflexion sur le rôle de l’artiste comme penseur des formes de domination et des imaginaires culturels.

Série « Appoutchou » : corps féminins et affirmation de présence

L’un des axes majeurs de mon évolution récente est la création de la série « Appoutchou », centrée sur des femmes voluptueuses. Ces figures puissantes, inspirées de représentations populaires et de références visuelles diverses, incarnent une autre manière d’être au monde, une résistance charnelle aux normes imposées par les canons esthétiques et sociaux.

Ces femmes, souvent nues ou semi-nues, aux formes généreuses, sont représentées avec grandeur, intensité, douceur et fierté. Elles sont là, présentes, visibles, assumées. Par elles, je revendique une esthétique du volume, du poids, du réel. Leurs corps deviennent des territoires de liberté, de sensualité, de spiritualité. Elles portent en elles un héritage africain du sacré, de la féminité et de la puissance vitale, tout en étant ancrées dans le contemporain. Ce travail, profondément respectueux et politique, vise à réhabiliter des corps trop souvent moqués, marginalisés ou effacés.

Série « Portrait d’un ami » : l’intime comme vérité masquée

Dans la série « Portrait d’un ami », je m’interroge sur ce qui se cache derrière l’image, derrière le visage que l’on croit connaître. Chaque portrait est une tentative de traverser l’apparence, de déjouer les masques sociaux, pour atteindre une part de vérité intérieure. Ces œuvres posent la question : que voit-on vraiment de l’autre ? Qu’est-ce qui est dissimulé derrière l’expression figée ?

Il s’agit ici d’un travail de mémoire affective, mais aussi d’examen du regard, de critique des conventions du portrait. À travers cette série, j’explore les zones troubles de l’intimité, l’impossible saisie de l’autre, et l’art comme seul moyen de rendre visible l’invisible.

Une œuvre habitée par la condition humaine

Ce qui relie tous ces projets, c’est une volonté de faire de l’art un espace de questionnement sur la condition humaine. Mes toiles parlent des masques que l’on porte, des systèmes qui oppriment, des traumatismes qui marquent, mais aussi des résistances qui s’inventent, des corps qui tiennent, des voix qui persistent.

Je ne cherche ni à séduire, ni à plaire. Je cherche à travailler dans la matière les contradictions de notre époque, à ouvrir des brèches sensibles, à créer des images qui dérangent, qui éveillent, qui bouleversent. Mon art n’est pas un constat, c’est un geste, un appel, une affirmation de vie dans un monde en crise.

Mon travail est traversé par l’histoire, par la politique, par le spirituel, par la mémoire et par la matière. Il naît d’une urgence, celle de nommer ce que l’on tait, de révéler ce que l’on masque, de donner corps à ce qui résiste. À travers mes masques, mes visages, mes femmes, mes amis, je peins le visible pour mieux atteindre l’invisible. Je trace des formes pour interroger ce qu’il y a derrière. Je peins l’ombre dans la lumière, la douleur dans la couleur, l’humain dans ses complexités.

Car au fond, mon art est une tentative obstinée de réinventer l’espoir, dans un monde qui semble avoir renoncé à croire en l’avenir